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vendredi 2 juin 2023

L’insurrection de 1871 ou le début de la fin de la France en Algérie (II)

 

Afrique, monde et vérité
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L’insurrection de 1871 ou le début de la fin de la France en Algérie (II)


Le 8 avril, le Cheikh El-Haddad a proclamé officiellement le djihad à Seddouq. Le moqadem Mohand Ou-Ali Belkadi des Béni Zmenzer, à Bou-Hinoun, prend les choses en main, en décrétant «licite pour chaque Algérien la tête de chaque Français».

Selon le colonel Nil Robin, c’est ce même Mohand Ou-Ali Belkadi qui est le véritable instigateur de l’insurrection attribuée par les Français à Al-Mokrani. Voici ce qu’écrit le colonel Rinn : «En réalité, celui qui, dès le 10 avril, commença à soulever les indigènes de la région, alors que le caïd Ali était encore dans le devoir, fut le prédicateur Mohand Ou-Ali Belkadi de Bou-Hinoun (Béni Zmenzer). Son influence était absolue dans tout le pâté montagneux des Béni Aïssi, et Cheikh El-Haddad avait en lui un agent aussi habile que dévoué. Mohand Ou-Ali Belkadi était un prédicateur exalté et entraînant ; il avait une véritable éloquence et, de plus, il était depuis longtemps aimé et estimé dans le pays, en raison de sa charité et de ses vertus privées. Au début, ce fut surtout contre Ali-Oukaci qu’il excita les gens, en disant qu’il fallait commencer par débarrasser le pays de tous les «m’tournine ou renégats qui servaient les Français, alors que la volonté de Dieu était si manifestement hostile aux chrétiens».

Cette insurrection fut appelée : ‘Am Al-Mokrani, c’est-à-dire «l’année d’Al-Mokrani» par les populations concernées.

Mohand Ou-Ali Belkadi va de village en village en prêchant la guerre sainte et en exhortant les çofs au combat régénérateur contre les Français. Des combats ont lieu chaque jour par dizaines, et ils sont tous dénombrés par les officiels français, civils et militaires. Abdelaziz Al-Haddad durant son procès en énumèrera un grand nombre. Au combat de Tazazerit (Tizi Ouzou), une dizaine de fermes de colons ont été détruites et pillées par les insurgés. Dans la vallée, entre Draâ Ben Khedda et Bordj Menaël, tout brûle. On est le 15 avril 1871.

Le lendemain, le commandant Tellier est arrivé avec sa colonne pour défendre Tizi Ouzou qui fut évacuée le 16 du même mois par les Français. L’écho du combat de Magoura dans le Sud Oranais est parvenu jusqu’en Kabylie. Il opposait les Ouled Sidi-Cheikh aux Français dirigés par le commandant Marchand.

Fort National a été attaqué par les troupes dirigées par Mohand Ou-Ali Aït Kaci. Aux Fenayen, dans la Vallée de la Soummam, les moulins Lambert sont incendiés. Partout dans les campagnes, les Français fuient. Des colons sont tenus en captivité à Bordj Menaël. Le village de Ben Chenoud est évacué et incendié. Le 19, c’est l’usine à huile de Boghni qui est incendiée. Puis c’est l’attaque du village de Draâ Al Mizan qui sera suivie du blocus du Bordj.

Des colonnes de l’armée française menées par Cerez sont signalées par les guetteurs kabyles. Elles sont accrochées. Celles de Saussier également. De même que celle de Lapasset à Béjaïa. La colonne Fourchault a quitté Maison-Carrée et elle se dirige vers les plaines de la Kabylie. Palestro est prise par les Algériens qui en profitent pour organiser les camps de Bouchama de Tizi et de Tirihane.

Mort du bachagha

Le 5 mai, on apprend la mort du bachagha Mohammed Al-Mokrani au combat. L’Algérie entière est à feu et à sang.

A la Cour d’Assises de Constantine, où auront lieu les procès des insurgés, siège un juge, vieux et à moitié sourd, qui fait répéter plusieurs fois les avocats de la défense, et cela fait rire les accusés et l’assistance.

L’avocat d’Abdelaziz Al-Haddad, qui s’évadera plus tard de Nouvelle Calédonie, avant d’échouer à Paris dans le quartier de Ménilmontant, à Paris, dira : «Mon client vous demande de ne pas laisser s’étioler sa jeunesse dans la contrainte des prisons. Il ose espérer que vous ne le séparerez pas de sa famille et de ses jeunes enfants. Enfin, ce n’est que de la main puissante que l’on réclame le pardon, et c’est Dieu, le Très-Haut, qui sait ce qui aura lieu.»

Les pertes de la France dans la guerre de 1871 contre la Prusse

La France a perdu par suite du démembrement de l’Alsace et de la Lorraine 12 villes, chefs-lieux de département ou d’arrondissement Strasbourg, Colmar, Metz, Saverne, Schlestadt, Wissembourg, Haguenau, Mulhouse, Sarreguemines, Thionville, Château-Salins, Sarrebourg. 94 chefs-lieux de canton et 1 750 communes, comprenant ensemble 1 600 000 habitants, près du vingtième de la population totale de la France. Elle a perdu en territoires : 14 900 mètres carrés, 12 forteresses, dont 3 de première classe : Strasbourg, Metz et Thionville. Plus : 3 grands arsenaux, dont 1 à Strasbourg et 2 à Metz, 1 poudrerie (Metz) et plusieurs centaines de poudrières.

Dans l’administration judiciaire : 2 cours d’appel, 11 tribunaux de première instance, 94 justices de paix, 4 tribunaux de commerce.

Dans l’administration scolaire : l’Académie de Strasbourg, la première de France, après celle de Paris, par son ancienneté, son importance, et parce que seule elle comprenait 5 Facultés et une école supérieure de pharmacie, 3 lycées, 15 collèges communaux, 4 écoles normales, environ 30 sociétés savantes.

400 000 hectares de forêts, 370 kilomètres de rivières navigables, 300 km de canaux, 735 kilomètres de chemins de fer, 88 500. 000 fr de revenu territorial, et 400 000 fr de contributions, 3 succursales de la Banque de France.

Le montant des indemnités de guerre exigés par l’Empire d’Allemagne s’élevaient à 5 milliards ; les villes durent payer environ 500 000 000 fr ; la France aura à dépenser pour les troupes d’occupation au moins 500 000 000 fr, ensemble 6 milliards.

Plus : 1 Hôtel des monnaies (Strasbourg), 2 manufactures de tabac, 7 magasins à tabacs, 4 salines, 80 usines ou hauts fourneaux, 160 filatures, 315 fabriques de draps, 105 manufactures de porcelaine ou faïence. 20 verreries, 344 brasseries, peausseries, papeteries, dont 50 à Strasbourg, etc.

L’empereur Napoléon III capitula le 2 septembre, à la bataille de Sedan, suivi par 39 généraux, 100 000 soldats. Plus de 600 canons, 66 000 fusils et 10 000 chevaux furent remis aux troupes allemandes ce jour-là. Les troupes françaises mal organisées, plus familiarisées aux razzias des tribus algériennes désarmées, sont durement battues dans plusieurs batailles.

Mac Mahon, le stratège de Kabylie, perd sa cavalerie avant de fuir le champ de bataille, en empruntant un axe de retraite dissimulé, vers Metz et Verdun. Les régiments cuirassiers français qui livrent la bataille de Frœschwiller-Wœrth sont écrasés par les coalisés : le premier et deuxième régiments de cuirassiers sont annihilés, il y aura peu de survivants.

L’armée du maréchal Bazaine capitule le 19 octobre, à Metz. 3 maréchaux. 6 000 officiers. Près de 200 000 soldats, 1 660 canons, 278 000 fusils, 3 millions d’obus. 23 millions de cartouches.

L’armée française n’existe plus

Les débris de l’armée française battent en retraite sur la plupart des fronts. Le gouvernement de la Défense nationale demande l’armistice, qui est signée le 28 janvier 1871. C’est tout cela qui a joué en faveur du déclenchement de l’insurrection de 1871.

Boumezrag Al-Mokrani et le kanak Altaï

Nous ignorons ce qu’est devenu Lakhdar Al-Mokrani, contrairement à ses jeunes frères le bachagha Mohamed et le caïd Boumezrag. Mohamed Al-Mokrani est mort lors de l’insurrection de 1871.

Boumezrag Al-Mokrani, qui naît vers 1836 à la Medjana, deviendra caïd. Il sera condamné à la peine de mort par la Cour d’Assises de Constantine le 27 mars 1873 pour sa participation à l’insurrection de 1871. Son départ vers la Nouvelle-Calédonie a lieu le 1er septembre 1874, sur le bateau le Calvados. La peine de mort prononcée à son encontre sera commuée en déportation simple le 19 août 1873.

Boumezrag Al-Mokrani, qui fit la chasse à Boubaghla jusqu’à sa décapitation, renouvela avec enthousiasme cet exercice en Nouvelle-Calédonie. En s’engageant aux côtés des troupes françaises qui traquaient dans la brousse les insurgés canaques conduits par le chef Altaï.

Le cheikh Abdelaziz Al-Haddad, son frère M’hamed, ainsi que la plupart des Algériens déportés à la presqu’île de Bourail, déclineront l’offre de recrutement à titre de supplétifs proposée par le gouverneur de l’île. 42 déportés arabes ainsi que plusieurs dizaines de communards se joindront à Boumezrag Al-Mokrani pour châtier les révoltés kanaks de Bourail.

Des lettres retrouvées dans les archives de la Nouvelle Calédonie par l’auteur Mehdi Lallaoui confirment le rôle éminent attribué à Boumezrag Al-Mokrani dans la répression des canaques. La première est datée du 27 mars 1901 ; elle est adressée au ministre des Colonies par le gouverneur de Nouvelle-Calédonie. La seconde, qui porte la date du 8 mai 1904, est destinée au gouverneur général de l’Algérie.

Dans ces deux lettres, Boumezrag Al-Mokrani est nommément cité «pour avoir pris part, de manière spontanée et non rétribuée», à la répression des tribus canaques révoltées. Boumezrag Al-Mokrani semble n’avoir rien compris aux admonestations de l’histoire. Le chef Altaï sera abattu puis décapité à la hache par des membres de la tribu Canala, alliée aux Français. Sa tête ira au MNHN de Paris.

Après la révolte Kanak de 1878, des terres sont confisquées à des tribus canaques dans la vallée de Nessadiou, puis assignées par l’Administration pénitentiaire à des exploitants algériens, libérés des centres pénitentiaires de l’île Nou, de Ducos, de l’île des Pins, du Camp Brun qui deviennent ainsi des colons, après avoir été colonisés dans leur propre pays.

Ces «Arabes» comme on les appelait, alors qu’un grand nombre d’entre eux sont berbères, convolent avec des Européennes, mais aussi des femmes mélanésiennes. Ils font souche au pays des Canaques.

Ces Algériens du bout du monde ont vécu méprisés dans l’île des Pins où, pendant longtemps, «le cheval a été le seul ami de l’Arabe», selon Ben Ḥamich, un vieillard calédonien qui repose à Nessadiou (d’après M. Taieb Aifa, au nom de l’Association des Arabes et des amis des Arabes, le 4 mars 2007).

Le 12 mars 1879, Léonce Rousset, le rédacteur de L’Album de l’île des Pins publie des passages d’une lettre à l’intention de ses lecteurs : «La veille de mon arrivée, le 4, on avait fusillé Cham, le fameux chef. Le 7 au matin, j’ai assisté à l’exécution de 4 Canaques ; parmi eux, 3 vieux, tous avaient participé au massacre de La Foa, de la Fonwary et de la famille Fricotté. Les trois vieux sont allés bravement à la mort, la pipe à la bouche. Mais le plus jeune, le plus farouche de tous, renommé par des cruautés de tout genre, est mort en lâche ; il s’était barricadé dans sa cellule avec son lit de camp et a reçu les gardes avec ses excréments, on a eu toutes les peines du monde à lui mettre les menottes. Ce Canaque, surnommé la Petite Bouche, avait une figure horrible, il avait été défiguré par une brûlure. Comme ces hommes n’étaient point attachés, il n’y avait pas de poteaux, ils fuyaient, se courbaient. Le peloton d’exécution n’était composé que de 16 soldats, soit 4 soldats pour chaque condamné ; aucun d’eux n’était mort, il a fallu à chacun le coup de grâce. La Petite Bouche était tombé la face à terre ; le coup de grâce lui a fait faire le saut de carpe, il s’est retourné sur lui-même, face au ciel.»

Boumezrag Al-Mokrani, les soldats français et leurs auxiliaires canaques poursuivront nuit et jour Altaï et les insurgés canaques à travers les forêts et la végétation dense de l’île. Les tribus révoltées seront finalement cernées et faites prisonnières par la colonne du commandant Rivière. Les instigateurs canaques furent traduits devant un conseil de guerre, condamnés à mort et fusillés.

Un ex-communard devenu vacataire de l’armée d’occupation écrira dans une lettre : «Ensuite nous fûmes de nouveau expédiés dans la brousse sous les ordres d’Amouroux, et cette fois sans Bonnieu, pour cerner les Canaques débandés et les ramener à Canala. Grâce à l’habileté tactique de notre chef, l’opération réussit à merveille. Après trois journées de manœuvre, nous ramenions à Canala, sans avoir tué personne, une foule de Canaques.»

Marabout et cave à vins

Pour sa participation à la curée canaque, Boumezrag Al-Mokrani obtiendra la résidence libre en Nouvelle-Calédonie. Il tiendra une cave à vins à Nouméa, jusqu’au jour de sa libération. En 1885, il assistera à Paris aux obsèques de Victor Hugo. Il mourra en 1905 à Alger. Il est enterré au cimetière de Sidi M’hammed, à Belcourt.

A Paris, Le Charivari publiera une page consacrée à Altaï : «Faut-il prendre au sérieux une nouvelle qui paraît absolument odieuse ? Divers journaux prétendent qu’on vient d’expédier à Paris la tête d’Altaï, un des principaux chefs de l’insurrection canaque, qui a payé sa révolte de sa vie. Cette tête serait envoyée ici pour être exposée au Muséum d’histoire naturelle, à côté des bocaux dans lesquels dorment les fœtus. Qui donc a pu avoir cette idée sauvage ? On rougit pour son siècle, en pensant qu’il peut y avoir des gens qui trouveraient toute naturelle cette exhibition immonde, et l’on serait tenté de se demander si le progrès n’est pas un vain mot, lorsqu’on songe que ceux qui prétendent civiliser la barbarie auraient tant besoin d’être civilisés eux-mêmes.»

Le communard Jean Allemane s’émeut aussi de cette triste nouvelle : «Le gouverneur Olry commit un acte peu recommandable, il envoya les deux têtes, celles des chefs Altaï et Naïna à Paris, elles arrivèrent, dit-on, avant que l’Exposition universelle ne clôturât.»

A.-F. B.

(Fin)

Source: https://www.algeriepatriotique.com/2023/05/28/linsurr..

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