samedi 22 août 2020

Excellente analyse sur la situation géopolitique de la Biélorussie par Bruno Drweski,

Thierry Bréboin a partagé un lien.
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[Biélorussie]
Excellente analyse sur la situation géopolitique de la Biélorussie par Bruno Drweski, maître de conférence à l'INALCO et expert en civilisation orientale.
Le président Alexander Loukachenko est au pouvoir depuis 1994 et vient d’être « réélu » avec 80% des suffrages. Si bien que des manifestants réclament sa démission. Mais la Biélorussie n’est pas n’importe quel pays. Cette ancienne république soviétique a résisté aux privatisations néolibérales et à l’invasion des capitaux étrangers. De quoi faire saliver quelques multinationales en Occident. La Biélorussie est également l’une des dernières zones tampons de la Russie, de plus en plus cernée par l’Otan. Assiste-t-on dès lors à une énième révolution colorée en Europe de l’Est? La grille de lecture est trop simple pour Bruno Drewski, spécialiste de la région. Il nous explique qu’à Moscou aussi, les oligarques lorgnent l’économie biélorusse. Quant aux manifestants, anti ou pro-Loukanchenko, ils ne semblent pas prêts à brader leur pays au premier venu.
Côté occident : Certes, on voit depuis quelques années des militants fréquenter tous ces milieux liés à Otpor, aux révolutions colorées et aux activistes des printemps arabes soutenus par l’Occident. Le phénomène existe, c’est incontestable. Mais la situation en Biélorussie est différente, car la société est différente. Les arguments pro-occidentaux et pro-capitalistes habituellement avancés dans tous ces pays d’Europe de l’Est qui voulaient rejoindre l’Union européenne et l’Otan ne sont pas populaires auprès des Biélorusses. Les manifestants se contentent donc de pointer le côté dictatorial du régime.

Par ailleurs, il n’y a pas de consensus au sein des chancelleries occidentales. L’Allemagne surtout est bien consciente que pour éviter une troisième guerre mondiale, il est exclu que la Biélorussie rejoigne l’Union européenne et l’Otan. Ce pays se situe à moins de 500 km de Moscou, il fait partie de la banlieue russe. Leurs deux armées sont par ailleurs complètement intégrées l’une à l’autre. En Occident, beaucoup sont donc conscients des limites à ne pas dépasser. Dans les milieux impérialistes, cela n’empêche pas certains d’espérer semer l’anarchie en Biélorussie comme dans tous les pays qui échappent à leur influence.
Côté Russie : Loukachenko n’est pas plus populaire dans les cercles dominants russes que chez les Occidentaux. Il a mené une politique très indépendante et le modèle économique biélorusse n’est pas compatible avec le capitalisme néolibéral. Or, en matière de néolibéralisme, la Russie n’a rien à envier à l’Occident. Le gouvernement russe peut parfois défendre une position politique anti-impérialiste comme en Ukraine ou en Syrie, mais c’est toujours en fonction des intérêts de la bourgeoise russe. Et cette bourgeoisie veut étendre ses possessions et ses capitaux dans les pays où c’est possible. Autrement dit, les oligarques russes salivent tout autant que les impérialistes occidentaux sur cette économie biélorusse qui échappe à leur emprise.
Le régime de Loukachenko est en effet le seul de l’ex-Union soviétique qui a empêché la privatisation néolibérale de son économie avec l’ouverture des frontières aux capitaux étrangers. À l’époque par exemple, l’Union soviétique comptait deux usines de tracteurs. L’une en Russie, l’autre en Biélorussie. Celle de Russie a fait faillite après avoir été privatisée. Celle de Biélorussie existe toujours et domine le marché de l’ex-Union soviétique. Dans beaucoup d’autres domaines de pointe, les meilleures usines de Biélorussie rivalisent avec les grandes entreprises occidentales ou russes. Si bien que tant en Occident qu’en Russie, on lorgne ce trésor.
Côté Biélorussie : Il y a des manifestants anti-Loukachenko qui contestent le résultat des élections. Il y a aussi des manifestants pro-Loukachenko dont on parle très peu dans les médias. Dans les deux cas, il y a un consensus sur le refus de privatiser l’économie. Que ce soit à la faveur des Occidentaux ou des oligarques russes, la réponse sera « niet » ! Ce rejet de la privatisation de l’économie pourrait permettre à la population biélorusse de surmonter ses contradictions.
Reste à espérer qu’on ne jette pas de l’huile sur le feu. Il y a des spécialistes qui savent comment provoquer des tensions inutiles et permettre à des problèmes secondaires de prendre racine. Mais ce sera plus difficile en Biélorussie. Il n’y a pas de minorités nationales ou religieuses fortes sur lesquelles les impérialistes pourraient s’appuyer pour déstabiliser le pays comme ils l’ont fait ailleurs.