mercredi 25 mars 2020

Alors que les équipes du Pr Raoult assumaient la prescription de chloroquine aux patients positifs au Covid-19, Olivier Véran a décidé d'encadrer strictement son emploi


Coronavirus - Chloroquine : le ministre de la Santé serre la visAlors que les équipes du Pr Raoult assumaient la prescription de chloroquine aux patients positifs au Covid-19, Olivier Véran a décidé d'encadrer strictement son emploi

Alors que dimanche les équipes du Pr Raoult assumaient la prescription d'hydroxychloroquine à tous les patients positifs au Covid-19, Olivier Véran a décidé d'encadrer strictement son emploi

Par Alexandra Ducamp et Delphine Tanguy

Rappel des faits

Début février, des chercheurs chinois ont publié dans la réputée revue scientifique Nature les résultats d'une étude in vitro qui démontrait que la chloroquine, un antipaludéen bien connu, pouvait inhiber le Covid-19. Dans la foulée et parmi d'autres molécules, un essai clinique a été lancé en Chine. Des résultats jugés très préliminaires, sur une centaine de patients chinois, allaient dans le même sens mi-février. Le 12 mars, une vingtaine de projets de recherche étaient annoncés, en France, coordonnés par l'Inserm. Ils comprenaient des essais cliniques sur un antiviral expérimental (le remdesivir), un rétroviral utilisé contre le VIH (le lopinavir) et la combinaison lopinavir et interféron. Un essai randomisé avec un groupe de patients qui ne reçoit aucun de ces médicaments.




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Parallèlement, les équipes du Pr Raoult ont, elles, mis en place un essai clinique, validé par les autorités, sur 24 patients traités à l'hydroxychloroquine (un dérivé de la chloroquine mieux supporté) et un antibiotique (l'azythromycine). Le temps de bâtir le protocole de l'essai clinique, la polémique sur l'hydroxychloroquine avait fait son oeuvre. Dimanche, elle a donc été incluse dans Discovery, le programme de recherche européen qui va concerner 3 200 patients dont 800 en France. "La grande force de cet essai est son caractère adaptatif. Cela signifie que très rapidement les traitements expérimentaux inefficaces pourront être abandonnés et remplacés par d'autres molécules qui émergeront de la recherche. Nous pourrons donc réagir en temps réel", & explique Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon, qui pilote l'essai.
Les "pour"

C'est sur la base des premiers essais chinois et de son expérience de ce médicament avec lequel il a traité plus de 4 000 patients, que le Pr Raoult a basé son essai clinique. Avec pour arguments principaux : la connaissance de ce médicament et de sa toxicité. Dimanche, lui et son équipe assumaient d'en prescrire à tous les patients dépistés positifs pour éviter que leur état ne s'aggrave. L'espoir placé dans l'hydroxychloroquine demeure dans le fait qu'elle permettrait de réduire la charge virale du patient. Le Pr Christian Perrone, chef du service infectiologie de l'hôpital de Garches, plaidait dimanche aussi pour la généralisation des traitements à l'hydroxychloroquine, avant même les résultats des essais européens. "Aujourd'hui on a que ça. Je ne vois pas pourquoi il faudrait attendre des résultats. Nous sommes dans une médecine de guerre, il faut faire la guerre au virus. Ce n'est pas éthique (de ne pas administrer ce médicament) à des gens qui risquent la réa dans deux jours". Interrogé sur le risque de scandale sanitaire, il répond : "Cela n'a rien à voir avec le Médiator. Si c'était un médicament nouveau, je ne dirais pas 'On se lance comme ça'. D'autant que le traitement est court". D'autres médecins hospitaliers très critiques sur les essais marseillais ont évolué sur la question. Après avoir constaté que le lopinavir présentait trop d'effets secondaires, le Dr Beilbtreu, infectiologue à la Pitié Salpêtrière, a finalement consenti à de "l'expérimental compassionnel faute de mieux" sur des patients en réanimation.


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La réflexion se poursuit jusque dans les cabinets en ville. "La règle veut que l'on ne puisse pas prescrire un médicament en dehors de son autorisation, explique un généraliste. Après, on n'a pas le droit de tuer son adversaire. Sauf si c'est la guerre. Et là, c'est la guerre. Si on peut éviter de se retrouver avec des cas graves, les médecins font leur devoir. On ne va pas attendre des études et qu'il y ait 2 000 morts ".
Les "contre"

La méthodologie, c'est le coeur de la polémique. L'essai clinique du Pr Raoult ne répond pas, et il en convient, à la méthodologie habituelle. Il a été dénoncé à l'origine par le collectif FakeMed. "Je suis complètement écoeurée par ce qu'il se passe. Sur la base d'un essai absolument contestable sur le plan scientifique et qui ne prouve rien, on expose les gens à un faux espoir de guérison pour une maladie dont on sait qu'au bout de quelques jours dans 95 % des cas, on en guérit spontanément", dénonçait, hier, Karine Lacombe, infectiologue et cheffe de service à l'hôpital Saint-Antoine. D'autant que si les tests in vitro sont probants, à ce jour, aucune étude ne confirme effectivement son efficacité chez l'homme. "Ce qui se passe à Marseille est scandaleux, utiliser un médicament en dehors de son utilisation de mise sur le marché, c'est en dehors de toute démarche éthique. C'est extrêmement dangereux. Je suis peinée que des scientifiques de renom comme mes collègues de Marseille, ce soit en engagés dans une action de ce type-là", pointait-elle encore. Éric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à La Pitié-Salpêtrière, évoquait, lui, les biais d'un traitement qui ne s'attache qu'à faire baisser la charge virale mais qui ne tient pas compte de l'état général du patient : "Il y a plus de patients traités en réanimation".
L'arbitrage

Le ministre de la Santé, Olivier Véran déclarait, hier soir, se conformer à l'avis du Haut conseil de santé publique qui recommande "de ne pas l'utiliser, sauf pour des formes graves". Il devrait prendre un arrêté dans les prochaines heures autorisant le traitement par hydroxychloroquine "uniquement pour les formes sévères, en milieu hospitalier et par décision collégiale des médecins".

Dans les pharmacies, les stocks d'hydroxychloroquine seront vite épuisés

La pharmacie Prado Mermoz croule sous les demandes de Plaquenil.PH. GILLES BADER



"Du Plaquenil ? Ce matin j'ai voulu en commander, mais les grossistes n'en livrent plus. Depuis dix jours, la demande du corps médical est forte." Dans sa pharmacie des Caillols (12e arrondissement), à Marseille, Stéphane Pichon, président du conseil de l'ordre des pharmaciens de Paca, a d'autant plus vite épuisé son stock qu'il ne vendait jusqu'ici que "12 à 14 boîtes" de ce médicament d'ordinaire utilisé pour le traitement du lupus et des douleurs rhumatoïdes. Depuis la vidéo virale du Pr Raoult, on fait la queue de longues heures devant l'IHU de la Timone, dans le but d'être testé et placé sous traitement à la chloroquine (en fait, son dérivé, l'hydroxychloroquine). En Afrique, on se rue sur les traitements anti-paludéen dans les pharmacies mais aussi sur les marchés, où les médicaments contrefaits sont légion.

Un immense espoir est né... avec ses dérives possibles : prescriptions trop légèrement encadrées ou de complaisance, automédication... Or, "en l'état actuel des connaissances, met en garde l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine, considérant les risques encourus pour des bénéfices cliniques inconnus, l'hydroxychloroquine et la chloroquine ne doivent pas être utilisées dans la prise en charge des infections par le coronavirus en dehors d'essais cliniques ou de prise en charge spécialisée."

Une mise en garde que balaient pourtant nombre de pharmaciens, comme Stéphane Pichon. "Il y a un moment où il faut prendre des risques, l'attente administrative va se transformer en cercueils !, s'alarme-t-il. Il y a les médecins de paperasse, et les soignants, face à la population. Le Plaquenil, c'est un vieux médicament, on le connaît bien : oui, il y a peut-être un risque mais si deux personnes sur mille font un infarctus, peut-être qu'on sauve 998 personnes."

Le président du conseil de l'ordre des pharmaciens attend qu'un grand laboratoire comme Sanofi, qui commercialise le Plaquenil, livre "rapidement et prioritairement les pharmacies des hôpitaux", puis rapidement les officines en ville, qui seront "nécessaires, si les tests de l'efficacité du traitement sont validés, pour largement distribuer le médicament. Nous, on est même prêts à le donner, on s'en fout de faire de l'argent avec."

Plaquenil, Nivaquine : "Les gens en veulent, c'est sûr. J'ai vu passer des prescriptions où l'on voit désormais beaucoup de positifs au Covid 19 ", rapporte, à la pharmacie Prado Mermoz dans les quartiers chics de Marseille, David Abenhaim. Lui ne veut "pas faire de polémique", mais attend "un vrai coup d'accélérateur sur les protocoles d'autorisation de l'Agence du médicament. On est dans l'urgence, c'est la guerre. Et on ne fait pas de manière quand on fait la guerre". "Parfois il faut aller au-delà des règles", reprend Stéphane Pichon. Alors que l'hydroxychloroquine est intégrée à l'essai clinique européen Discovery, les laboratoires se veulent en tout cas rassurants : ils pourront produire et fournir le médicament si son effet est validé.

"Prêt à tout mettre en oeuvre"

Sanofi, ainsi, a promis plusieurs millions de doses du Plaquenil, afin de pouvoir traiter 300 000 patients. Novartis s'est engagé, de son côté, à donner 130 millions de doses d'ici fin mai. Son stock, en Suisse, est actuellement de 50 millions de doses. En France, le ministre de la Santé a suspendu toutes les exportations de la molécule. "Nous avons plusieurs lieux de production, en Europe et en Amérique latine", nous précise Sanofi France, qui se dit "prêt à tout mettre en oeuvre", si l'hydroxychloroquine s'avère efficace contre le coronavirus, pour répondre à la demande. Dans l'attente, cependant, le laboratoire met en garde contre une automédication : "Il faut absolument être suivi par un médecin en raison de ses effets secondaires."