La permaéconomie, cette tendance heureuse qui fera 2020
SARAH SABSIBO
LE 8 JANV. 2020
#ECOLOGIE #ÉCONOMIE CIRCULAIRE #ECONOMIE COLLABORATIVE #ENVIRONNEMENT #TENDANCES 2020
La permaculture transposée à l'économie ? Cela donne la « permaéconomie ». Théorisée par Emmanuel Delannoy, elle offre un cadre de référence solide aux business models de demain : moins prévisibles et plus généreux. Entretien.
Dans un livre paru en 2016, Emmanuel Delannoy a créé le concept de la « permaéconomie ». Inspirée de la permaculture, dont elle transpose les principes à l’économie en général, la permaéconomie vise une production de valeur nette positive, compatible avec les limites de la biosphère. Utopie ou solution ? Quoi qu’il en soit, un bouleversement qui pourrait assurément favoriser l’émergence de solutions heureuses.
La sphère économique commence à réaliser qu’il est difficile de ne pas tenir compte des écosystèmes du vivant. Assiste-t-on à un tournant ?
Emmanuel Delannoy : Sans doute. Plus personne ne peut nier la réalité des dégradations écologiques et le risque concret que la crise climatique fait peser sur nos économies. Mais si le déni tend à disparaître, le risque d’une réaction techniciste demeure. On le voit sur une question comme celle de la pollinisation. Certains envisagent sérieusement – et lèvent des fonds pour cela – de créer des robots censés polliniser les fleurs dans des serres. Or, la solution la plus simple, la plus immédiate, ne demande pas un tel déploiement de moyens. Il suffit d’arrêter les pesticides et de replanter des haies pour créer des habitats naturels pour les pollinisateurs.
Face aux enjeux climatiques, les solutions les plus efficaces ne reposent généralement pas sur des solutions techniques (...), mais sur des structures végétales.
Mais ce type de démarche remet profondément en cause une certaine vision du progrès...
E. D. : Oui, et la pensée que l’humanité peut se développer en alliance avec la nature reste taxée d’irréaliste. Pourtant, on ne peut que le constater : face aux enjeux climatiques, les solutions les plus efficaces et durables ne reposent généralement pas sur des solutions techniques complexes et coûteuses, mais sur des structures végétales. Pour lutter contre le réchauffement en ville, par exemple, le plus efficace est de mettre des arbres partout et de végétaliser les espaces. Pour lutter contre l’érosion des sols, c’est de couvrir les sols. Pour améliorer la qualité des eaux, c’est de restaurer les zones humides. On a plein de solutions comme celles-là, qui ne sont pas de la haute technologie mais juste une sorte d’ingénierie écologique qui recrée des structures vivantes.
Est-ce que le vivant a aussi des choses à nous enseigner sur nos organisations ?
E.D. : La grande caractéristique du vivant est d’être extrêmement plastique, adaptable et réversible. Le vivant passe son temps à se reconfigurer et à se reconstruire. Il passe littéralement son temps à élargir le champ des possibles. Il est foisonnant, ne s’interdit rien, favorise la diversité. Adaptabilité, réversibilité, diversité... tous ces principes peuvent inspirer nos stratégies d’entreprise. Il faut juste accepter d’aller à l’encontre des processus normés et standardisés qui ont été tellement valorisés.
On ne peut pas tout prévoir tout simplement parce que le vivant est imprévisible par nature.
Data, intelligence artificielle, algorithmie... les nouvelles technologies nous promettent de pouvoir tout prévoir. Ce n’est pas la solution ?
E. D. : On ne peut pas tout prévoir tout simplement parce que le vivant est imprévisible par nature. Or le problème est surtout culturel : on ne supporte plus le moindre risque, la moindre incertitude. Mais en se privant de l’un et l’autre, on se prive d’opportunités et des heureuses surprises que créent nos capacités d’adaptation. Perdre le contrôle pour favoriser l’émergence d’heureuses surprises, c’est exactement ce qu’on cherche à faire en permaculture. On apprend à apprendre en permanence de l’écosystème, à se mettre à l’écoute active des signaux qu’il nous renvoie. Il faut accepter ce feedback permanent. Imposer son cadre de pensée à la réalité ne marche pas, on va forcément à la rupture. S’enfermer dans un modèle est dangereux. Quand on comprend que ce modèle est en permanence mouvant, on adopte une attitude de surfeur. Cela suppose un autre rapport au temps et à la plasticité évolutive.
Il faut que les entreprises acceptent leur dépendance à tout un écosystème ?
E. D. : C’est une démarche d’humilité. Si on veut créer de la valeur durablement, il faut accepter qu’on ne puisse pas tout maîtriser tout seul. Nous devons comprendre qu’on ne prospère pas sur un territoire qui dépérit.
Concrètement, la permaculture repose sur trois piliers : prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement.
La permaéconomie resserre les liens entre l’entreprise, le client et la société ?
E. D. : En permaculture, on part du principe qu’avant toute chose il faut obtenir une récolte. Donc, on ne fait pas un modèle économique qui ne soit pas rentable. Mais cette rentabilité ne se conçoit pas sans les principes de durabilité du capital social et naturel. Concrètement, la permaculture repose sur trois piliers : prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement. Toute innovation doit s’intégrer dans ce cadre éthique. Elle ne doit pas créer des systèmes qui induisent de la dépendance ou des distorsions de pouvoir trop importantes. À partir du moment où l’on inverse les moyens et les fins et qu’on commence à être asservis par l’outil, on n’est plus dans la permaculture.
Vous conseillez aux entreprises de miser sur l’exaptation. Qu’est-ce que cela signifie ?
E. D. : C’est un principe d’agilité qui suppose que nous ayons accepté l’une des leçons du vivant, à savoir, non seulement rien n’est parfait, mais, en plus, c’est dans les imperfections que résident les potentialités d’adaptation et d’évolution. L’innovation vise à obtenir des technologies parfaites. Avec la permaculture, on comprend que la perfection est surtout une vulnérabilité. Si vous êtes parfaitement adapté à des conditions données, quand les conditions changent, ne serait-ce qu’un tout petit peu, vous n’êtes plus adapté et vous êtes en situation de fragilité. L’exaptation est finalement cette agilité du vivant de bricoler avec des structures, des formes, des organes qui préexistaient, et de les orienter, de les reprendre pour de nouveaux usages ou de nouvelles fonctions. Il y a un côté MacGyver dans l’exaptation. On a d’énormes contraintes qui nous attendent, d’énormes défis à relever, on n’a pas le temps de tout réinventer. On n’est pas dans un monde idéal, alors acceptons-le et regardons ce qui dans notre monde aujourd’hui peut nous servir à aborder cette transition de la manière la plus agile possible.
Le vivant va nous aider, si on l’aide à nous aider.
La permaéconomie nécessite d’adopter un regard systémique inspiré de la biodiversité. On parle de design systémique. Qu’est-ce que c’est ?
E. D. : Cela consiste à composer avec la complexité. C’est une aptitude humaine naturelle qu’il faut redévelopper. Il nous faut une pédagogie de la complexité. Et, surtout, il faut y associer quelque chose de positif. Sans complexité, il n’y a pas de vie. La complexité est liée à l’émergence et aux possibles. C’est complexe, donc ça ouvre plein de possibles, c’est complexe, donc on peut faire plein de choses.
À la lecture de vos travaux, on a le sentiment que le sort de l’humanité repose sur notre capacité d’émerveillement ? Vraiment ?
E. D. : Oui (rires). Aujourd’hui, on est fascinés par la technologie, ce qui n’a pas toujours de sens. On en vient à considérer les choses vivantes comme des choses sans intérêt, voire dérangeantes. Si on veut inventer un nouveau rapport au vivant, si on veut mettre en place un nouveau partage équitable avec le vivant, ça passe par un nouveau regard. Et ce nouveau regard passe par de l’émerveillement. Avec la crise du climat, on assiste à une sorte de mouvement de panique. Or, si nous voulons vraiment nous inscrire dans les cycles du vivant, il nous faudra accepter d’agir avec le temps long. On ne brusque pas le vivant, on doit travailler avec lui, avec ses rythmes et donc accompagner ses mouvements. Le vivant va nous aider, si on l’aide à nous aider.
EMMANUEL DELANNOY
Auteur, conférencier et entrepreneur, il a contribué à la construction de l’Agence française de la biodiversité. il a également été chargé par le gouvernement d’une mission sur les emplois de la biodiversité. Il a fondé l’institut INSPIRE et cofondé le cabinet de conseil Pikaia.
À LIRE
Emmanuel Delannoy, Permaéconomie, Éditions Wildproject, 2016
À CONSULTER
permaeconomie.fr
Podcast #33 sur activer-economie-circulaire.com
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